Interview l'Opinion : Jacques Biot (Huawei): « Il existe une méconnaissance de ce que Huawei peut apporter à la société française »

« Huawei est une société qui a grandi très vite, en conservant un côté familial et sans avoir les habitudes, comme d’autres entreprises internationales, des bonnes pratiques de communication. Elle a un côté bon élève et pense que cela suffit »

Les faits - Un nouveau venu dans la galaxie Huawei et un nouveau Français, après Jean-Louis Borloo, au conseil d’administration de Huawei France. Cet ancien président de l’Ecole Polytechnique (2013-2018) devra incarner le visage du département recherche et développement (R&D) de Huawei en France. Bon connaisseur des arcanes du pouvoir – il est passé par plusieurs cabinets ministériels –, il devra aussi aider à atténuer les craintes qui entourent le géant chinois des télécoms. Il accorde son premier entretien depuis sa nomination à l’Opinion.

Comment un Français se retrouve-t-il au board de Huawei ?

Parce que je trouve que Huawei est une très belle entreprise et que j’y ai vu un intérêt à de multiples égards sur le plan scientifique, technologique, managérial et stratégique. Je crois que les Français sous-estiment encore actuellement la science et la technologie chinoise, là où je les ai vus progresser pendant mes cinq ans de mandat à la tête de Polytechnique. Aujourd’hui, c’est une entreprise qui permet de résoudre une bonne partie des problèmes de la planète grâce à ses technologies : les problèmes de santé, économiques et concernant le climat. C’est pour cela que je crois que nous avons vraiment intérêt à ce que ces technologies soient disponibles le plus vite possible et le plus largement possible.

Pourquoi la France sous-estime la technologie chinoise ?

Pour commencer, parce que les Français ont une tendance à se considérer comme très fort. Or les Chinois ont progressé très vite sur le plan scientifique, je l’ai vu avec leurs universités qui étaient mes partenaires lorsque je dirigeais Polytechnique. Et puis regardez la croissance de la Chine ! C’est un pays qui a évolué plus vite que ce que nous imaginons parfois en France.

Lorsqu’on parle d’innovation, c’est le sujet 5G qui revient immédiatement, mais quels sont les autres domaines de développement sur lesquels travaille Huawei actuellement ?

Ce que je trouve exaltant, c’est que je retrouve les mêmes priorités que celle que j’avais fixées à mes étudiantes et à mes étudiants à l’École polytechnique. En gros, mon discours est de dire que nous sommes là pour résoudre les grands problèmes de la planète. C’est-à-dire : l’économie, le climat et la santé, pour l’essentiel. Et ils se résoudront grâce à l’amélioration des technologies de communication. C’est cela qui freine aujourd’hui le développement de la voiture autonome : il faut améliorer la vitesse de partage des informations, c’est la raison pour laquelle nous avons grand besoin de la 5G.

Je vous cite un autre exemple : nous savons que concernant l’environnement, un des enjeux réside dans la gestion de l’énergie. L’énergie renouvelable est produite quand il y a du soleil et vent, or ce n’est pas forcément le moment où les gens en ont besoin. Il va donc falloir renverser le paradigme qui autrefois faisait que quand il y avait plus de demande, on démarrait une centrale thermique et tout le monde était content. Là, cela devra être un peu l’inverse. Lorsqu’il y aura moins d’électricité, il faudra inciter les consommateurs à l’utiliser moins et aller intelligemment puiser sur les batteries des voitures. Tout cela suppose des capteurs, des systèmes de régulation et que cela puisse se faire en temps réel. Nous aurons donc besoin de deux techniques du type 5G.

« Nous sommes là pour résoudre les grands problèmes de la planète : l’économie, le climat et la santé. Et ils se résoudront grâce à lamélioration des technologies de communication »

Comment situez-vous la France sur le développement de la 5G ?

Nos voisins suisses et monégasques ont une couverture 5G performante, pour la France, nous allons voir. Je suis très confiant et je pense que la France aura à cœur de rattraper ses voisins.

Où en êtes-vous du développement d’un système d’exploitation propriétaire de Huawei ?

Nous vivons dans un monde qui repose sur la coopération internationale, c’est d’ailleurs ce que j’ai connu dans le monde académique. Huawei développait son propre système d’exploitation depuis 2012, bien avant le début de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis. Toutefois, cela reste un plan B. Huawei préfère évidemment poursuivre la collaboration avec l’ensemble de l’écosystème. Le groupe dépense 17 milliards de dollars en recherche et développement et les choses avanceront à leur rythme.

Est-ce que c’est également un sujet d’indépendance ?

Je crois que toutes les prohibitions ont pour effet de renforcer ceux qui y sont soumis. C’est dans la nature humaine, c’est lorsque vous êtes sous contrainte et que vous trouvez le moyen d’en sortir et que vous progressez.

Est-ce que les inquiétudes formulées par certains États vis-à-vis de Huawei pourraient être de nature à revoir vos investissements ?

Je suis assez confiant car à mes yeux, il s’agit plutôt de méconnaissances de ce que Huawei peut apporter à la société française, aux consommateurs, aux industriels et à l’économie française en général. Cette méconnaissance disparaîtra au fur et à mesure que l’entreprise fera connaître ce qu’elle peut nous apporter. C’est une société qui a grandi très vite, en conservant un côté familial et sans avoir les habitudes, comme d’autres entreprises internationales, des bonnes pratiques de communication. Elle a un côté bon élève et pense que cela suffit. Or, notre monde demande aussi de faire savoir que vous êtes un bon élève et je dirais que cela nous donne une marge certainement de progression.

Est-ce que votre recrutement peut faciliter ce travail ?

Vous l’avez compris, j’ai une approche modeste de ma place. Ce qui est certain, c’est que de mon point de vue, ce n’est pas une décision prise à la légère. J’ai la conviction que Huawei est une entreprise qui concourt au développement de l’économie française et je vais m’attacher à essayer de convaincre ceux qui ne le seraient pas que c’est bel et bien une réalité. S’ils sont venus me chercher, c’est qu’ils pensent que je peux les aider à se développer mais ils n’ont pas besoin d’une caution car leurs technologies sont suffisamment fortes pour réussir à se développer par elles-mêmes.

« Quil revienne à lEurope de fixer les termes de la régulation sur la sécurité des consommateurs, au sujet de la protection de la vie privée, oui, car ce sont des sujets de société. Est-ce que l’Europe doit avoir une position face à une entreprise ? Je nen suis pas certain »

La position d’ouverture prise par l’Allemagne vis-à-vis de Huawei, malgré les craintes d’espionnage, vous semble-t-elle de nature à permettre à l’entreprise de s’installer plus facilement dans le paysage européen ?

Les Allemands sont, comme nous, voisins des Suisses et ils ont bien compris qu’ils avaient à leur porte un exemple de réussite qui méritait d’être examiné. Les Allemands sont des gens pragmatiques alors s’ils ont à leur disposition une technologie qui est la plus performante du monde et qui peut permettre à leur industrie de se déployer, alors ils y prêtent attention. Ils ont une forte proportion de robots et ces robots ont besoin de communications entre eux. Grâce à la 5G, ils deviendront plus performants, c’est leur intérêt économique.

Vous pensez qu’une position commune de l’Europe vis-à-vis de Huawei peut voir le jour alors que certains États membres parlent de la Chine comme un « rival systémique » ?

Huawei, ce n’est pas la Chine mais une entreprise chinoise, il est important de faire le distinguo entre les deux. Est-ce que l’Europe doit avoir une position face à une entreprise ? Je n’en suis pas certain. Qu’il revienne à l’Europe de fixer les termes de la régulation sur la sécurité des consommateurs, au sujet de la protection de la vie privée, oui, car ce sont des sujets de société. On attend que l’Europe apporte une forme de vision commune.

Justement, concernant le respect de la vie privée et des données personnelles, il existe de réelles inquiétudes de la part des populations, pensez-vous que cela peut freiner l’appétit des gens pour les nouvelles technologies ?

Cette question se pose davantage avec les GAFA que concernant Huawei. Mais il appartient à chacun de savoir ce qu’il est prêt à partager et peut être de se montrer économe. Sur les réseaux sociaux, les gens mettent en ligne beaucoup de choses sans qu’on ne leur demande et sans qu’ils y aient été obligés par un industriel. Nous vivons dans une société un peu schizophrénique par rapport à ce sujet, les gens aiment partager et ont peur de partager. Chaque citoyen doit se demander ce qui lui importe, notamment sur les domaines les plus sensibles, comme la santé. Mais cette question n’est pas dépendante de la technologie, celle-ci est neutre de ce point de vue là.

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