Échanges croisés entre Cédric Villani et Isabelle Leung
Cédric Villani, vous surprenez souvent avec l’approche que vous avez des mathématiques et de leur enseignement. Qu’est-ce qu’il y a donc de si « sexy » dans les maths ?
Cédric Villani : Ce qu’il y a de sexy dans les maths, c’est le fait que ça transforme notre monde, que ça l’a déjà transformé et que ça modifie notre façon de penser. La mathématique, c’est ce qui permet d’explorer les territoires qui sont inaccessibles à notre intuition ; c’est comme une extension de notre cerveau, de nos organes, de nos sens, comme quelque chose qui nous permet d’aller là où l’on ne devrait pas être.
Huawei a organisé cette année la 6e édition de « Talents Numériques », un concours parrainé par le Ministère de l’Éducation Nationale qui récompense quinze étudiants avec un voyage d’« immersion technologique » à Shenzhen. Pourquoi est-il important de cultiver ces talents numériques ?
Isabelle Leung : Le thème de cette 6e édition de Talents Numériques est « make it possible ». Huawei veut projeter les jeunes de Talents Numériques dans ce qui est encore infaisable, dans ce qui reste à inventer. Et les moteurs de cette innovation sont multiples : ce sont les jeunes entrepreneurs, les petites entreprises, les start-ups. Ce sont également les étudiants. Nous pensons qu’il est de notre responsabilité de cultiver le terreau sur lequel pousseront ces futurs talents numériques : nous voulons ouvrir des opportunités qui ne seraient autrement pas accessibles, afin de pousser dans le monde ceux qui, demain, porteront l’innovation.
Avec le centre de recherche en mathématiques récemment ouvert à Boulogne-Billancourt, Huawei a installé en tout 4 de ses 16 centres de recherche en France : y a-t-il un climat particulier qui vous y attire ?
I. L. Effectivement, l’histoire de Huawei avec la France n’est pas nouvelle, notre Centre de Design et Esthétisme, localisé à Paris, et unique en son genre parmi les équipes de recherche de Huawei dans le monde, en témoigne. C’est fort d’une expérience stimulante de la recherche française que nous avons choisi d’installer le centre mondial de recherche en mathématiques en Île-de-France. Thierry Mandon, qui a inauguré le centre, le résumait très bien : c’est « la preuve de l’excellence de l’école mathématiques française et plus largement de la qualité de la recherche en France mondialement reconnue ». Avec 5 médailles Fields sur 14 depuis 2002 et au moins un français présent à chaque palmarès, il y a effectivement un climat spécifique en France.
Vous vous définissez comme un « passeur de science ». Pensez-vous que l’on sache susciter suffisamment de vocations scientifiques en France ?
C. V. Aujourd’hui, en France, nous avons du mal avec les vocations, mais les autres aussi ont du mal : c’est un problème général. Tous les pays un tant soit peu développés voient venir comme une sorte de maladie cette crise de vocations et ce spectacle, cette perspective déprimante d’une science qui s’effondrerait. Alors il faut lutter contre cela et trouver de nouveaux leviers.
Parmi les trois centres précédemment ouverts, nous trouvons un centre de recherche sur l’Internet des objets, un sur le traitement d’image et son hardware, ainsi que le centre parisien de design. Pourquoi choisir de porter aujourd’hui les mathématiques ?
I. L. Comme le disait Cédric Villani, « la mathématique, c’est ce qui permet d’explorer les territoires qui sont inaccessibles à notre intuition ». Approfondir nos capacités de recherche en mathématiques appliquées, c’est dépasser les limites toujours plus proches de la loi de Moore, assurer une meilleure prise en main de nos données, et rendre possible la 5G et son déploiement.
Avec la montée en puissance du « Big Data » et les applications industrielles qui lui sont associées, en quoi les mathématiques appliquées peuvent-elles jouer un rôle clé ?
C. V. En effet, la mathématique s’est emparée du sujet « Big Data » : on assiste déjà à des changements radicaux dans la perception des équilibres entre les branches mathématiques. La statistique, la branche qui est le plus directement aux prises avec le « Big Data », se retrouve très prisée des recruteurs. Dans de nombreux secteurs, des spécialistes d’analyse des données viennent remplacer des algorithmes précédemment éprouvés. Alors il faut bien garder en tête, et c’est pour ça que les mathématiciens garderont leur place dans cette révolution, que la donnée ne remplacera jamais l’algorithme.